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Obligation pour le bénéficiaire d’allocations de chômage de déclarer les revenus du conjoint: un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles

Jurisprudence commentée - 15/04/2021
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Auteur(s): 
Terra Laboris


Dans un arrêt du 16 décembre 2020, la Cour du travail de Bruxelles a rejeté une demande d’écartement de l’article 60 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 (qui contient une obligation de déclaration des revenus du conjoint) au motif que le ministre avait dépassé l’habilitation lui donnée par l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La cour a également rappelé les règles de preuve en matière de taux des allocations.

Les faits

M. P. a sollicité le bénéfice des allocations de chômage en 2007, mentionnant, dans le formulaire C1, une cohabitation avec son épouse, sans revenus. Dans plusieurs C1 ultérieurs, il a communiqué des changements d’adresse, confirmant le statu quo quant à la situation de l’épouse. Il apparut cependant, par la consultation de la Banque-carrefour, que celle-ci percevait des revenus depuis 2009.

Suite à cette constatation, l’intéressé fut entendu et plaida la bonne foi, au motif que les revenus n’avaient, selon lui, « jamais dépassé le plafond réglementaire ».

L’ONEm prit une décision d’exclusion au taux de travailleur avec charge de famille, et ce depuis 2009. Il décida de procéder à la récupération de la partie non prescrite, d’un montant de l’ordre de 14.600 euros, et exclut l’intéressé pour une période de treize semaines. La sanction était motivée eu égard à la période d’infraction et à la clarté des instructions de l’ONEm reprises dans la feuille d’informations jointe au document C1.

Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui a réformé la décision administrative, annulant l’exclusion et la récupération à partir de 2009 et réduisant la sanction à huit semaines.

L’ONEm interjette appel.

Les arrêts de la cour

La cour a rendu deux arrêts, étant, pour le premier, un arrêt du 5 septembre 2019 et, ensuite, l’arrêt commenté, du 16 décembre 2020.
L’arrêt du 5 septembre 2019
Il s’agit, pour la cour, d’ordonner une réouverture des débats, sur trois points.

Le premier est relatif à l’obligation de déclaration préalable des revenus du conjoint. Cette obligation figure à l’article 60 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. La cour pose la question de savoir si celle-ci dépasse l’habilitation donnée au ministre par l’arrêté royal.

Le deuxième point porte sur la conformité de cette obligation avec l’article 11 de la loi du 15 janvier 1990 portant création et organisation d’une banque-carrefour de la sécurité sociale.

Enfin, le troisième point concerne l’ONEm, étant de savoir s’il a pu avoir accès, dans le réseau, aux données relatives à l’exercice de l’activité professionnelle de l’épouse, et ce depuis 2009.
L’arrêt du 16 décembre 2020
Après le rappel du dispositif de l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, la cour reprend la notion de « revenus professionnels » visée à l’article 60 de l’arrêté ministériel. Il s’agit de tous les revenus provenant de l’exercice d’une activité professionnelle ainsi que des revenus visés à l’article 46, §§ 1er et 2, de l’arrêté royal (salaire garanti et paiement des jours fériés).

Les revenus n’ont pas ce caractère de revenus professionnels pour l’application de l’article 110 si trois conditions cumulatives sont remplies, étant que (i) le travailleur a déclaré ceux-ci lors de sa demande d’allocations (ou au début de l’exercice de l’activité), (ii) ces revenus proviennent d’un travail salarié et (iii) le montant brut de ceux-ci n’excède pas une moyenne mensuelle de 569,11 euros par mois et que le conjoint ne bénéficie d’aucun revenu de remplacement pour ce même mois (sauf si celui-ci est octroyé à la suite d’une incapacité de travail ou de chômage temporaire lors de l’occupation avec un revenu du montant ci-dessus – et tenant compte du montant cumulé du revenu de remplacement avec ce dernier).

Lors de son inscription au chômage, le travailleur doit introduire un dossier contenant sa demande d’allocations et celui-ci doit contenir tous les documents nécessaires au directeur pour statuer sur son droit ainsi que pour fixer le montant des allocations elles-mêmes. Lorsqu’un événement modificatif survient, de nature à influencer le droit aux allocations ou leur montant, un nouveau dossier doit être introduit. C’est le contenu des articles 133 et 134 de l’arrêté royal.

Cependant, une dispense est prévue pour ce qui est de certaines données, dont celles accessibles auprès de la Banque-carrefour de la sécurité sociale (ceci valant également pour d’autres types de données, énumérées à l’article 134bis).

Les faits étant antérieurs à la loi du 5 mai 2014, la cour reprend le texte de la loi en vigueur à cette époque, étant que, lorsque les données sociales sont disponibles dans le réseau, les institutions de sécurité sociale sont tenues de les demander exclusivement à la Banque-carrefour et elles sont également tenues de s’adresser à celle-ci lorsqu’elles vérifient l’exactitude des données sociales disponibles dans le réseau.

Depuis le 14 juin 2014 (entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2014), la disposition a été modifiée, prévoyant actuellement en sus que les institutions de sécurité sociale ne recueillent plus les données sociales dont elles disposent en exécution de la disposition ci-dessus ni auprès de l’intéressé ni auprès de son mandataire ou de son représentant légal. Dès que celui-ci remarque cependant qu’une institution de sécurité sociale dispose de données sociales incomplètes ou incorrectes, il le signale dans les meilleurs délais. L’application de ces dispositions ne peut (sous réserve des règles en matière de prescription) donner lieu au non-recouvrement de droits ou d’allocations indûment perçus basés sur des données sociales incomplètes ou incorrectes.

La cour répond dès lors aux questions qui avaient surgi lors de l’examen du dossier ayant donné lieu à l’arrêt du 5 septembre 2019. Il n’y a pas excès de pouvoir, le ministre n’ayant pas dépassé l’habilitation que lui donnait l’arrêté royal du 25 novembre 1991, l’article 60 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 ayant ainsi pu prévoir que la condition de déclaration de revenus du conjoint doit intervenir lors de la demande d’allocations ou au début de l’activité professionnelle.

La cour assied cette conviction sur plusieurs éléments, l’article 110, § 5, de l’arrêté royal habilitant expressément le ministre à déterminer les conditions qui doivent être remplies pour pouvoir être considéré comme étant « à charge financièrement ». Il s’agit en l’espèce de fixer les conditions d’octroi d’un taux d’allocations et non d’une condition d’octroi des allocations en elles-mêmes. L’habilitation ne portant que sur un taux ne dépasse par la notion de mesure de détail ou d’exécution d’importance minime. La cour considère que cette obligation de déclaration préalable peut également trouver son fondement dans les articles 133, § 2, 5°, et 134 de l’arrêté royal organique (qui fait obligation au chômeur de signaler tout événement modificatif de nature à influencer le droit aux allocations ou leur montant).

Sur l’obligation en l’espèce de déclarer les revenus de l’épouse du chômeur, la cour relève notamment que l’article 134bis de l’arrêté royal est une exception au principe de l’obligation de déclaration et qu’il est donc de stricte interprétation. Si les données disponibles via la banque-carrefour permettent aux institutions de sécurité sociale de vérifier les données sociales directement, ceci n’interdit pas à l’ONEm de demander au chômeur d’effectuer des déclarations relatives à sa situation familiale et personnelle, dans la mesure où la situation réelle ne correspond pas nécessairement aux données sociales figurant dans le réseau. Aussi, la cour conclut-elle à la conformité de l’article 60 de l’arrêté ministériel à la loi du 15 janvier 1990 et en refuse l’écartement.

Elle rappelle encore que le travailleur qui se prévaut d’une autre qualité que celle de cohabitant doit l’établir et que, tant que la déclaration faite par le chômeur sur son document C1, qui est une déclaration unilatérale, n’est pas mise en doute, il va bénéficier des allocations sur la base de celle-ci. Dès lors qu’il y a mise en doute de la déclaration, il incombe à l’intéressé d’apporter la preuve de la véracité de celles-ci, la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 1998 (Cass., 14 septembre 1998, n° S.97.0161.F).

Vu qu’il ne peut être contesté en l’espèce que les déclarations étaient inexactes, la décision de l’ONEm doit être confirmée et les sommes perçues remboursées. La cour fait dès lors droit à l’appel de l’ONEm. Elle réduit cependant la sanction d’exclusion à un simple avertissement, au motif qu’il n’y a pas eu en l’espèce, dans les deux ans qui ont précédé l’événement, lieu à application d’une des sanctions administratives des articles 153 à 155 de l’arrêté royal.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler les règles de preuve dès lors que c’est sur la base de la déclaration du bénéficiaire d’allocations, dans son document C1, qu’est fixée la catégorie de bénéficiaire au sens de l’article 110 de l’arrêté royal.

La situation est, comme le rappelle la cour, examinée en phases successives. Le montant des allocations est donc déterminé sur la base de la déclaration faite le chômeur et, si l’ONEm conteste ce taux, il doit établir que la situation est autre que celle déclarée. En cas de déclaration inexacte, il y a renversement de la charge de la preuve, étant que le chômeur doit établir qu’il se trouve dans la situation lui permettant d’être examiné au taux isolé ou au taux de cohabitant avec charge de famille.

L’on peut utilement sur la question se référer à un jugement du Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) du 11 juillet 2018 (R.G. 14/2.005/A – précédemment commenté).
Source:  C. trav. Bruxelles, 16 décembre 2020, R.G. 2018/AB/69