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Un travailleur peut-il utiliser en justice des enregistrements de conversations réalisés de longue date à l’insu de ses supérieurs?

Jurisprudence commentée - 04/05/2021
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Auteur(s): 
Rodrigue CAPART et Fatiha MOULAY (elegis)


Par un arrêt du 18 mars 2021, la Cour du travail de Liège a tranché la délicate question de l’admissibilité en justice des enregistrements sonores réalisés par le travailleur à l’insu de ses supérieurs, en l’occurrence, pendant plusieurs années.

Faits

Une société dont l’activité est la vente et le service après-vente de matériel informatique occupait Monsieur L. dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Au fil des années, Monsieur L. enregistrait les entretiens qu’il avait avec ses supérieurs, et ce, à leur insu.

Un jour, l’employeur a enjoint Monsieur L. de respecter certaines règles internes relatives à l’organisation du travail, lui interdisant notamment toute communication directe avec les clients sans consultation préalable de son supérieur.

Le lendemain, Monsieur L. a présenté sa démission.

Le travailleur a ensuite formulé une série de demandes, parmi lesquelles des arriérés de salaire, une indemnité de rupture (sic) et des dommages et intérêts pour harcèlement moral au travail.

En première instance, le Tribunal du travail de Liège a débouté le travailleur de l’ensemble de ses demandes.

Ce n’est qu’en degré d’appel que le travailleur, appelant, a versé aux débats un CD contenant les enregistrements sonores qu’il avait effectués depuis plusieurs années avant son départ de l’entreprise et une retranscription écrite de conversations avec ses supérieurs.

Décision de la Cour du travail

Se référant à la jurisprudence Antigone, la Cour s’interroge sur l’admissibilité en justice de la preuve de tels enregistrements sonores et de leur retranscription. Il apparait que Monsieur L. s’est constitué au fil des années, et de manière irrégulière, un dossier susceptible d’être utilisé à charge de son supérieur alors que ce dernier n’avait aucune possibilité pour y répondre. Monsieur L. n’a pris l’initiative d’en relever l’existence et le contenu que cinq ans après la rupture du contrat de travail et quatre ans après l’introduction de son action en justice.

Il n’est pas contesté que ces enregistrements ont été faits à l’insu de ces personnes, ce qui constitue une violation de leur vie privée.

La Cour souligne que Monsieur L. avait la possibilité et les capacités en tant qu’informaticien, pendant ces années, de censurer lesdits enregistrements de façon à ne laisser subsister que les passages favorables à sa position.

La Cour rejette ainsi lesdits enregistrements en expliquant que la façon de procéder du travailleur viole le droit à un procès équitable.

Ils ne présentent d’ailleurs pas les garanties de fiabilité nécessaires.

Intérêt de la décision

Par cet arrêt, la Cour du travail de Liège suit la tendance qui applique la jurisprudence Antigone en matière contractuelle quant à l’analyse de l’admissibilité en justice des enregistrements obtenus de manière illégale par le travailleur.

Elle rappelle qu’une preuve irrégulière ne peut être admise que si les conditions résultant de la jurisprudence Antigone sont respectées. En l’occurrence, en réalisant des enregistrements à l’insu de son supérieur pendant des années, la Cour a jugé que les droits à un procès équitable ont été violés et que lesdits enregistrements ne présentent pas la fiabilité nécessaire pour être admis comme preuve.


Source:  C. trav. Liège, division Liège, chambre 3-D; 18 mars 2021, R.G. n°2020/AL/14