La grève perlée n’a de grève que le nom, elle ne consiste pas en la cessation collective et volontaire du travail. Dans le cadre d’une grève perlée, une retenue du traitement d’un agent statutaire en activité de service ne peut se justifier par les actions qu’il a menées.
Les faits
Près de deux cents pompiers sont occupés sous statut au sein d’un service intercommunal d’incendie.
Ce service connaît un conflit social important opposant la direction à son personnel. Une grève est menée pendant six jours durant lesquels les prestations sont suspendues. A la suite de cette grève, une partie du personnel a entamé une grève perlée, se limitant à exécuter une partie des missions leur incombant et à délaisser certaines tâches, tout en accomplissant un horaire complet.
La direction a retenu 10% de la rémunération des travailleurs impliqués dans cette grève perlée, pendant toute la durée de l’action, soit pendant trois mois.
Les pompiers impactés par cette retenue en ont réclamé le paiement devant les juridictions judiciaires.
Le jugement dont appel
Le Tribunal du travail de Liège – division Liège condamne le service intercommunal d’incendie à payer la rémunération aux pompiers dont le traitement avait été réduit de 10 % pendant les trois mois d’action.
La décision de la Cour du travail
La Cour examine d’abord sa compétence matérielle (d’ordre public) pour connaître du litige. Elle relève à cet égard que le paiement d’arriéré de rémunération est un droit subjectif et que les juridictions de l’ordre judiciaire sont donc compétentes pour en connaître. La retenue irrégulière de rémunération étant sanctionnée par l’article 163 du Code pénal social, l’article 578,7° du Code judiciaire confirme la compétence des juridictions du travail.
La Cour procède ensuite à l’examen du fondement de la demande au moyen de quatre points : (1) la qualification du mouvement mené pendant trois mois par les pompiers, (2) le droit au traitement des agents du secteur public, (3) le droit à la protection de la rémunération et (4) l’existence d’un principe général de droit de « la règle du service fait », invoqué par le service intercommunal.
Quant à la qualification du mouvement mené pendant trois mois par les pompiers
La question est de savoir si une grève consistant non en une cessation totale des prestations de travail mais en une exécution du contrat dans des conditions différentes des conditions habituelles peut ou non bénéficier de la protection reconnue au droit de grève.
Il s’agit du concept de grève dite « perlée », à propos duquel la doctrine et la jurisprudence sont quasiment unanimes pour considérer qu’il s’agit de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail et que cela ne relève pas du droit de grève.
Les pompiers ne peuvent en l’espèce pas bénéficier de la protection liée au droit de grève, tel que reconnu par la Cour de cassation.
Quant au droit au traitement des agents du secteur public
Le droit au traitement d’un agent du secteur public dépend de sa position administrative. Celle-ci peut consister soit en l’activité de service, soit en la non-activité soit enfin en la disponibilité.
Il est indéniable que les pompiers étaient en activité de service dès lors que cette position ne requiert pas nécessairement que l’agent exerce effectivement ses fonctions : l’agent en activité de service exécute effectivement son service ou est réputé l’accomplir.
Le droit au traitement de l’agent en activité de service découle uniquement de sa position administrative, ce qui différencie notablement le travailleur contractuel du travailleur statutaire.
Sur la base de leur position administrative (activité de service) et en l’absence de disposition formelle contraire, les pompiers avaient droit à leur traitement complet durant l’action menée.
Quant au droit à la protection de la rémunération
La loi du 12 avril 1965 relative à la protection de la rémunération est applicable aux travailleurs du secteur public. Les retenues opérées par la direction du service intercommunal d’incendie sont intervenues en dehors de toute procédure disciplinaire et ne correspondent pas à des sanctions disciplinaires. Elles constituent des retenues illégales au sens de l’article 23 de la loi du 12 avril 1965.
Quant à l’existence du principe général de droit de « la règle du service fait »
Le service intercommunal d’incendie prétendait qu’un principe général de droit de « la règle du service fait » trouvait à s’appliquer à la situation. Selon ce principe, un travailleur ne pourrait bénéficier de sa rémunération complète que s’il a effectué l’ensemble des prestations qui lui incombent.
Le service intercommunal s’en référait à une jurisprudence française, écartée par la Cour, et à un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles pour justifier ce principe. La Cour objecte qu’un seul arrêt, dont la motivation est trop succincte, ne peut permettre de retenir un principe général de droit.
La Cour refuse également d’appliquer au cas d’espèce l’enseignement de la Cour de cassation selon lequel travailleur n’a pas droit à sa rémunération pour la période pendant laquelle il n’a pas travaillé. Outre le fait qu’il ne soit pas certain que cette jurisprudence s’applique au secteur public, elle ne correspond pas au cas d’espèce dès lors que les pompiers ont poursuivi leurs prestations. La Cour conclut qu’il n’existe pas de principe général de droit de « la règle du service fait ».
La Cour confirme finalement le jugement querellé.
Intérêts de la décision
Cette décision est l’occasion de confirmer trois principes déjà bien établis.
- La grève perlée n’est pas une grève au sens de la loi du 19 août 1948 et ne bénéficie donc pas de la protection accordée à ce type de mouvement.
- L’agent statutaire bénéficie de son traitement en raison de sa position administrative et non en contrepartie de ses prestations de travail, ce qui le différencie d’un travailleur contractuel.
- Les retenues sur la rémunération sont strictement règlementées dans la loi du 12 avril 1965, aussi bien applicable au secteur privé qu’au secteur public.
Source: C. trav. Liège – division Liège, chambre 3-E), 28 mai 2021 – RG 2020/AL/258