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Un homicide commis dans la sphère privée peut-il justifier le licenciement pour motif grave?

Jurisprudence commentée - 01/08/2022
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Auteur(s): 
Bénédicte ALTOMARE et Michel STRONGYLOS– elegis


Dans un arrêt du 17 mars 2022, la Cour du travail de Liège, division Namur, a estimé que le fait pour un travailleur de commettre un homicide de son épouse à son domicile privé n’est pas constitutif d’un motif grave pouvant justifier un licenciement sur le champ sans paiement d’une indemnité ni prestation d’un préavis.

Les faits

Monsieur B. est engagé en 2014 au service d’une Régie Sportive, en qualité d’ouvrier polyvalent dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

Ses fonctions consistent en la préparation, l’entretien et la maintenance des installations de la Régie.

En date du 25 février 2018, Monsieur B. est arrêté est placé en détention préventive suite au décès de son épouse.

Rapidement, les médias régionaux relayent l’information.

En date du 31 mai 2018, le conseil de Monsieur B. prend contact avec la Régie sportive afin de s’assurer du maintien de Monsieur B. à son poste de travail à sa libération.

Le comité de direction indique ne pas disposer de suffisamment d’éléments pour se positionner.

Le 14 novembre 2018, Monsieur B. est libéré sous conditions et prend immédiatement contact avec son employeur afin de signaler son souhait de reprendre ses fonctions de travail.

Monsieur B. est auditionné le 15 novembre 2018 par le Bureau exécutif de la Régie.

A l’issue de cette audition - durant laquelle Monsieur B. reconnait l’homicide de son épouse par étranglement – Monsieur B est licencié pour motif grave.

Le courrier de licenciement renvoie à la délibération du Bureau exécutif de la Régie Sportive, lequel fait notamment état d’une atteinte à la réputation et à l’image de la Régie ainsi qu’à un manquement à l’article 16 de la loi du 3 juillet 1978.

En date du 14 mars 2019, Monsieur B. conteste son licenciement pour motif grave et sollicite la condamnation de la Régie Sportive au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

Le jugement dont appel

Par une décision du 10 novembre 2020, le Tribunal du travail a dit la demande recevable et fondée ; il condamne l’employeur au paiement de l’indemnité compensatoire de préavis.

Le tribunal a, par contre, débouté Monsieur B. de sa demande pour licenciement manifestement déraisonnable, estimant le licenciement lié au comportement du travailleur.

L’employeur a interjeté appel de ce jugement.

La décision de la cour du travail

Quant aux délais de trois jours et la précision du motif
La Cour rappelle tout d’abord les dispositions applicables et s’attèle ensuite à vérifier si le formalisme que requiert le licenciement pour motif grave a bien été respecté par l’employeur.

D’un examen des pièces des parties, la Cour précise que le bureau exécutif constituait l’autorité compétente pour licencier et observe, qu’avant l’audition de Monsieur B. en date du 15 novembre 2018, cette autorité ne disposait pas d’une connaissance suffisamment certaine des faits – soit une connaissance des faits entourés de toutes les circonstances.

Si le bureau exécutif ne peut nier avoir été rapidement informé, par le biais des médias, des faits à l’origine de la détention préventive de Monsieur B. et de ce que ce dernier reconnaissait la matérialité des faits, la Cour relève que Monsieur B. avait néanmoins adressé à son employeur, en avril 2018, un courrier dans lequel il indiquait notamment qu’il s’agissait d’un accident et que bon nombre d’informations colportées par la presse n’étaient pas exactes.

Selon la Cour, l’autorité a été sage de ne pas se fier aux seuls articles de presse et d’attendre de pouvoir auditionner Monsieur B. avant la prise de toute décision.

La Cour relève qu’une fois informée de sa libération, la Régie n’a pas tardé et a veillé à recueillir rapidement les informations utiles à sa décision :
  • le 14 novembre 2018, Monsieur B. a écrit à son employeur pour l’informer de sa sortie de prison et de son souhait de reprendre ses fonctions ;
  • le même jour, Monsieur B. a été convoqué pour une audition le lendemain;
  • Monsieur B. a effectivement été auditionné le 15 novembre 2018 à 8h00.
Le licenciement est ensuite intervenu le 15 novembre et notifié par exploit d’huissier le même jour. La lettre de licenciement faisant référence à la délibération du bureau exécutif dont une copie était annexée.

La Cour du travail en conclut au respect du délai de 3 jours ainsi qu’à la précision du motif.

La gravité de la faute

Si la Cour ne conteste pas qu’un homicide par étranglement constitue un fait grave pouvant entrainer la perte de confiance dans le chef de l’employeur, elle estime qu’il convient de se poser une question essentielle : le fait de la vie privée commis par Monsieur B. était-il de nature à rompre de manière immédiate et définitive la confiance la confiance de l’employeur ?

Pour répondre à cette question, la Cour, à l’instar du Tribunal, procède à une analyse in concreto de la situation et de l’ensemble des éléments entourant la relation de travail, en relevant notamment :
  • l’expertise psychiatrique de Monsieur B. laquelle indique que ce dernier a souffert d’un épuisement psychologique face à l’alcoolisme de son épouse et ses conséquences et que le risque de récidive est improbable ;
  • le contexte familial particulier que Monsieur B. n’est pas susceptible de rencontrer sur son lieu de travail ;
  • l’alcoolisme notoire de son épouse – ce qui n’était pas le cas de Monsieur B.
A cet égard, la Cour s’attarde sur une audition du directeur de la Régie laquelle démontre que l’ensemble du personnel était au courant de difficultés que rencontrait Monsieur B. en raison de l’addiction de son épouse et de l’épuisement de ce travailleur face à cette situation.
  • le fait que Monsieur B. n’a jamais nié les faits mais a contraire communiqué toute information utile à son employeur – ce qui témoigne d’une absence d’abus de confiance ;
  • le fait que Monsieur B. était apprécié des autres membres du personnel et que ceux-ci n’étaient pas opposés à son retour au sein de la Régie ;
  • l’entière satisfaction de son travail ;
  • le peu de contact avec le public.
La Cour en déduit que, si la confiance de l’employeur envers Monsieur B. a pu être ébranlée, elle ne l’était pas au point de ne permettre à Monsieur B. de prester un préavis.

Le comportement de Monsieur B. n’a dès lors pas rendu immédiatement impossibles la poursuite des relations de travail.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail s’aligne sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle les faits de la vie privée, étrangers à la relation de travail, ne constituent a priori pas une faute pouvant justifier le licenciement pour motif grave.

Il en est d’autant plus ainsi lorsque ces faits ne rendent pas impossible la poursuite de la relation de travail et ne génèrent pas de conséquences directes sur l’activité ou la réputation de l’entreprise (Cass., 9 mars 1987, JTT, 1987, p.128).

Dans l’appréciation du motif grave, la Cour invite ainsi l’employeur à tenir compte de l’ensemble des éléments entourant la relation de travail.

Le comportement et l’aptitude du travailleur, l’absence de tout antécédent de violence dans son chef ou encore l’absence de mise en danger des autres travailleurs notamment, doivent guider l’employeur dans sa décision.

Cet arrêt se prononce également sur le respect du délai de trois jours et sur l’importance pour l’autorité compétente pour licencier de disposer d’une information complète, notamment via l’audition du travailleur sans se fier uniquement à des articles de presse, pour conclure à la matérialité des faits – d’autant plus dans le cas d’espèce où la qualification de l’infraction et l’imputabilité de celle-ci dans le chef du travailleur n’étaient connues de l’employeur, le procès n’avait pas encore eu lieu au moment du licenciement.


Source:  C. trav. Liège, division Namur, Chambre 6-B, 17 mars 2022 – R.G. n° 2021/AN/54