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Erreur de l’organisme de paiement des allocations de chômage: le chômeur doit-il rembourser?

Jurisprudence commentée - 25/03/2024
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Auteur(s): 
Terra Laboris


La Cour du travail, dans un arrêt très documenté, s’écarte de la jurisprudence de la Cour de cassation et refuse d’appliquer les articles 166, al.2, et 167, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 qui permettent à l’organisme de paiement de répercuter sur le chômeur des paiements refusés par l’ONEm.

Faits de la cause

Le litige oppose M. P. à la Caisse auxiliaire de paiement des allocations de chômage, en abrégé CAPAC.

M. P., qui percevait pour la première fois des allocations de chômage depuis le 7 janvier 2019, a, le 9 octobre 2020, sollicité l’autorisation d’exercer une activité accessoire dans le cadre de la Mesure Tremplin-indépendants à partir du 6 octobre 2020, ce qui lui sera accordé pour la période du 5 octobre 2020 au 4 octobre 2021. A partir du 1er février 2021 et jusqu’au 7 octobre 2021, M. P. travaille et ne bénéficie plus d’allocations de chômage.

Il demande à nouveau des allocations auprès de la CAPAC en mentionnant qu’il continue à exercer son activité accessoire d’indépendant.

L’ONEm accepte et transmet à la CAPAC une carte d’allocations reprenant les barèmes permettant d’indemniser M. P., qui perçoit des montants correspondant à l’autorisation de l’ONEm pour les mois d’octobre à décembre 2021. Il contacte la CAPAC pour s’étonner des montants nets perçus, bien inférieurs à ceux qu’il percevait auparavant. La CAPAC effectue deux paiements complémentaires.

L’ONEm rejette ceux-ci dans le cadre de la vérification des dépenses. La CAPAC lui réclame alors le remboursement de 342 € pour le mois de novembre et de 85,50 € pour le mois de décembre.

M. P. introduit contre ces décisions un recours qui met en cause l’ONEm et la CAPAC.

La décision du tribunal

Par un jugement du 10 mars 2023, la 6ème chambre du Tribunal du travail de Liège, division de Dinant (R.G. 22/458/A) annule les décisions litigieuses et dit pour droit que les sommes perçues indûment ne doivent pas être remboursées. Le tribunal épingle deux fondements juridiques à cette annulation, étant (i) que pour rendre l’article 167 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 compatible avec l’article 17 de la Charte de l’assuré social, la récupération ne peut être ordonnée dès lors que la CAPAC reconnait être responsable de l’erreur et que le chômeur est de bonne foi et (ii) l’illégalité de l’arrêté royal du 30 avril 1999 qui a modifié les articles 166, al. 2, et 167, § 2, de l’arrêté royal.

Le jugement applique donc l’article 17 de la Charte de l’assuré social et, après avoir constaté que le chômeur ne pouvait pas se rendre compte de l’erreur commise par la CAPAC, déboute celle-ci de sa demande en remboursement de l’indu.

L’arrêt commenté

La CAPAC a interjeté appel de ce jugement, que la cour du travail, dans un arrêt très documenté, confirme.

L’arrêt consacre tout d’abord des développements aux articles 17 et 18bis de la Charte de l’assuré social. Cet article 17 protège l’assuré social de bonne foi contre une révision rétroactive de ses droits lorsque le droit à la prestation est inférieur à celui accordé.

Quant à l’article 18bis, il est le fruit d’une modification de la Charte permettant au Roi, pour des motifs budgétaires, de déterminer les régimes de sécurité sociale ou une subdivision de ceux-ci, pour lesquels une décision relative aux mêmes droits, prise à la suite d’un examen de la légalité des prestations payées, n’est pas une nouvelle décision au sens des articles 17 et 18. L’arrêt reproduit des passages des travaux préparatoires de cette modification.

L’arrêt reprend ensuite un arrêt de la Cour constitutionnelle du 2 juin 2010 sur cet article 18bis, qui décide que cette disposition ne fait aucune différence entre des catégories d’assurés sociaux et que, si le Roi introduisait une telle différence, il appartiendrait aux tribunaux de vérifier l’existence d’une justification raisonnable à celle-ci (arrêt n° 67/2010 rendu sur question préjudicielle).

Il convient donc de vérifier si les articles 166, al. 2, et 167 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne créent pas une différence de traitement injustifiée, le premier en ce qu’il indique que les décisions prises dans le cadre de la vérification par l’ONEm des paiements des organismes de paiement ne sont pas considérées comme des nouvelles décisions au sens des articles 17 et 18 de la Charte et le second en ce qu’il autorise ces organismes à répercuter sur le chômeur les conséquences de leurs erreurs, sauf si le chômeur aurait eu droit à la prestation sans la faute de l’organisme de paiement.

L’arrêt analysé souligne que plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont décidé que l’interdiction de réclamer un indu ne valait que s’il était établi que, sans la faute de l’organisme de paiement, les allocations auraient été dues au chômeur (citant Cass., 9 juin 2008, S.07.0113.F et Cass., 27 septembre 2010, S.09.0055.F, et Cass., 6 juin 2016, Chron. Dr.Soc., 2017, p. 269.

L’arrêt commenté relève que ces arrêts n’ont pas clos le débat.

La cour du travail reproduit (pp. 16 à 19) une partie de la contribution de M. SIMON (M. SIMON, « Erreur de l’organisme de paiement des allocations de chômage : Récupération de l’indu et responsabilité », J.T.T., 2017/13 n°127 pp.197 et s.), qui, notamment, développe une critique étayée sur l’urgence invoquée pour que le Conseil d’Etat rende son avis dans le délai de 3 jours ouvrables.

L’arrêt cite également plusieurs décisions postérieures aux arrêts de la Cour de cassation et très critiques de la jurisprudence de celle-ci.

Ainsi, un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège), chambre 2-C, du 6 juin 2018 (R.G. 2017/AL/694 et 2017/AL/695) est reproduit en pages 19 à 23 et contient de nombreuses références à la jurisprudence des juges du fond, contraire à celle de la Cour de cassation. Est également reproduit un arrêt de la chambre 2-E de la même cour (pp. 23 et 24), qui contient également de nombreuses références jurisprudentielles et doctrinales.

L’arrêt applique les principes ainsi dégagés au cas d’espèce. Il ressort des explications de la CAPAC qu’elle pensait « que le gel de la dégressivité suite au Covid n’avait pas été appliqué correctement dans les barèmes attribués par l’ONEm ». Les paiements sont donc le fruit d’une décision de la CAPAC, qui n’invoque pas d’autres fautes que la sienne.

L’arrêt écarte les articles 166, al. 2, et 167, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 sur la base de l’article 159 de la Constitution, pour les motifs développés notamment par l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 06 juin 2018 qu’il a reproduit et retient également l’illégalité des dispositions intégrées par l’arrêté royal du 30 avril 1999 dans l’article 166 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Intérêt de la décision commentée

Cet arrêt de 27 pages procède à une analyse fouillée de la question de la légalité des articles 166, al. 2, et 167, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui donnent à l’organisme de paiement des allocations de chômage la possibilité de réclamer au chômeur le remboursement de paiements rejetés par l’ONEm alors qu’il n’est en rien responsable de l’indu.

L’arrêt s’écarte de la jurisprudence de la Cour de cassation en s’appuyant sur des décisions postérieures des juges du fond et sur la doctrine.

Il est définitif.


Source:  C. trav Liège (div. Namur), chambre 6-A, 17 octobre 2023 R.G. 2023/AN/50